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Une union imparfaite, un euro en berne

By Ipek Ozkardeskaya
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La Cour constitutionnelle allemande a conclu mardi que le Programme d'achat de dette d'État (PSPP) de la Banque centrale européenne (BCE), qui préoccupe certains responsables et hommes d'affaires depuis 2015, ne violait pas l'interdiction de financement monétaire des États. Elle a cependant contesté la position de la Cour européenne de justice concernant le respect du « principe de proportionnalité », ce qui signifie que la BCE est peut-être allée trop loin, bien au-delà d'un champ d'action acceptable dans la poursuite de son objectif d'inflation. La promesse de l'ancien président de la BCE de relancer l'inflation « quoi qu'il en coûte » n'est donc pas populaire auprès des décideurs allemands, étant donné que les achats massifs d'obligations par la BCE nuisent au financement de la dette publique et deviennent ainsi une préoccupation politique.

Le verdict de la justice allemande laisse craindre que la Bundesbank ne puisse plus participer à la mise en œuvre et à l'exécution du programme d'achat d'obligations à l'avenir, à moins que le Conseil des gouverneurs de la BCE « adopte une nouvelle décision qui démontre de manière compréhensible et circonstanciée que les objectifs de politique monétaire poursuivis par le PSPP ne sont pas disproportionnés au regard de ses effets économiques et budgétaires ».

Objectivement, à un moment donné, les mesures prises par la BCE sont probablement devenues disproportionnées, eu égard au montant de la dette publique que la banque achète depuis une décennie. Que va-t-il donc se passer maintenant ?

Malgré les controverses, la Bundesbank va certainement poursuivre ses achats d'obligations, en attendant une justification de la proportionnalité de la part du Conseil de la BCE dans les trois prochains mois.

Mais pendant cette période, le potentiel de hausse de la monnaie unique sera sans doute plafonné, car le risque de voir les Allemands rejeter les justifications de la BCE restera présent à l’esprit de tout trader de l’euro.

Plus important encore, la décision allemande sur le PSPP fait planer une menace sur l'actuel Programme d'urgence contre la pandémie (PEPP). Ce dernier implique l'achat de 750 milliards d'euros de dette publique supplémentaire et au rythme actuel, il atteindra sa limite d'ici octobre. Si jusqu'à cette semaine, le scénario le plus plausible était la prolongation du programme de 500 milliards d'euros supplémentaires, les investisseurs devront désormais revoir leurs attentes à la baisse.

Ainsi, la justice allemande visait le PSPP, mais sa décision pourrait en fait affecter le PEPP.

Il convient de noter que le programme d'achat d'obligations de la BCE est la seule arme solide sur laquelle les investisseurs comptent depuis le début de la crise du coronavirus. Les ministres européens des Finances ont, en effet, écarté l'émission d’obligations communes (coronabonds), encore une fois en raison de l'opposition des pays du Nord, dont l'Allemagne. De plus, la portée du dernier plan de relance budgétaire est restée floue, car les responsables n'ont pu s'entendre que sur un plan de 540 milliards de dollars, contre 2 000 milliards de dollars envisagés. La balle a été renvoyée au Conseil européen et nul ne sait ce qu'il en ressortira, et quand.

Sur les marchés des changes, nous avons vu l'euro tomber en disgrâce à la suite d'un changement forcé et peu orthodoxe des attentes entourant la BCE.

Normalement, la possibilité d'un ralentissement des achats d'obligations aurait dû doper l'euro, car il en résulterait un resserrement de sa liquidité sur le marché et une valorisation plus élevée. Mais à ce stade, les investisseurs craignent en premier lieu que la reprise consécutive à la décélération économique historique provoquée par le coronavirus ne soit ralentie du fait de la diminution du soutien de la BCE. Et en deuxième lieu, que l'avenir de l'intégrité de l'union monétaire européenne ne soit menacé, compte tenu des importantes frictions existant au sein d'une union imparfaite.

Trouver un compromis entre des régimes politiques aussi différents est un véritable défi. Cela a toujours été le cas, mais le problème prend de l’ampleur à mesure que la taille du gâteau diminue. Par conséquent, soit l'union monétaire européenne sortira de cette crise plus forte, soit l'avenir de l'euro pourrait être en danger.
À court terme, les traders de l'euro seront probablement tentés de réduire leurs positions longues jusqu'à ce qu'il y ait plus de clarté en ce qui concerne la zone monétaire ou la zone budgétaire commune. Les hausses de prix pourraient offrir d’excellentes opportunités de vente pour renforcer les positions baissières sur l'euro. Le prochain support se situe à 1,07 face au dollar américain. Sa cassure accélèrerait sans doute un mouvement de vente de l'EURUSD visant la barre psychologique des 1,05. Côté hausse, la barrière des 1,10 pourrait être difficile à franchir.

Face à la livre, l'euro pourrait poursuivre son recul vers la moyenne mobile à 200 jours (0,8650) et en deçà.